Les médias prennent aujourd’hui une nouvelle place dans nos vies. Si les journaux papier tendent à disparaître, les médias électroniques et les médias sociaux explosent et transforment notre rapport aux nouvelles tout en influençant notre vision des phénomènes sociaux. Nous y sommes exposés dans le quotidien de nos vies, depuis notre réveil jusqu’à notre coucher… Et ce, que l’on parle des médias traditionnels ou des médias sociaux. L’immigration est depuis plusieurs années au cœur des discours politiques comme de ceux qui sont développés, repris, transférés et multipliés par les médias.
Comment parle-t-on d’immigration dans les médias?
La régionalisation de l’immigration est un des thèmes qui revient régulièrement dans nos médias nationaux et régionaux. Depuis plus de 30 ans, la régionalisation a été portée par des politiques et mesures répétées, et ce, quel que soit le gouvernement au pouvoir. On y parle des besoins en immigration dans les différentes régions, et ce, parfois en lien avec les mesures gouvernementales, parfois en s’y opposant. Référence
On parle aussi beaucoup des seuils d’immigration comme d’une stratégie pour mieux gérer les flux migratoires, le statut des migrants, les besoins économiques locaux, mais aussi pour répondre aux enjeux de la défense du français.
À partir de 2022, les seuils apparaissent moins et c’est la capacité d’accueil qui est mise de l’avant. Elle permettrait de déterminer le seuil optimal d’immigration. Bien qu’il n’y ait pas de consensus scientifique sur ce qu’est la capacité d’accueil ni sur la manière de la mesurer, cette expression résonne de plus en plus souvent dans les discours politiques rapidement relayés par nos médias. Référence
Selon ces termes, les médias, reprenant en cela les discours des partis politiques, présentent l’immigration sous un angle quantitatif : il en faut plus, il en faut moins, il faut la limiter…
L’immigration est aussi abordée autour des frontières d’abord avec le chemin Roxham présenté comme un espace ouvert et en manque de contrôle favorisant l’immigration illégale. Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer cette fausse appellation puisque ces personnes demandaient l’asile au Canada dès le passage de la frontière et qu’elles y avaient donc un statut légal de demandeur d’asile. Malgré ces clarifications, les termes immigration clandestine et immigration illégale se sont ancrés dans nos têtes et dans notre compréhension des questions d’immigration. Les personnes immigrantes sont fréquemment présentées sous forme de masses, de groupes indistincts (par exemple à la frontière ou lors de déplacements forcés), les photos présentées dans les pages de nos journaux numériques renforcent cette perspective et donnent toujours l’impression d’un grand nombre effrayant.

L’arrivée de Donald Trump et des tarifs qu’il veut échanger contre une protection des frontières américaines quant au passage d’immigrants qu’il dit illégaux et de drogues est venue renforcer cette vision d’une immigration qui envahit, qui est un délit, voire un crime et qu’il faut retenir, renvoyer, expulser, etc.
Les médias traditionnels relaient les messages politiques des différents partis qui font souvent de l’immigration une question de l’urne et ils participent aux polarisations : pour ou contre l’immigration. Quelques lettres d’opinion présentent en revanche une analyse plus approfondie de ces enjeux et ramènent l’immigration sur les questions d’humanité. Référence
Et les personnes immigrantes?
Si l’immigration est vue comme un phénomène de masse à contenir, les personnes immigrantes sont, plus souvent dans la dernière année, présentées comme un fardeau social et économique, responsables de la crise du logement, des problèmes du système de santé et encore de la décroissance du français au Québec.
Ils deviennent les boucs émissaires des enjeux de société. L’utilisation du terme crise vient souvent amplifier l’effet du texte proposé et des qualificatifs apposés aux immigrants, trop nombreux et prenant nos logements comme nos jobs, envahissant les salles d’attente des urgences et limitant notre accès à des médecins et à des soins.
Médias sociaux, discours politiques et médias traditionnels passent de l’immigration, concept flou et général, aux immigrants, des personnes qu’on associe à des pays d’origine, à des statuts, à des emplois potentiels et aux différents problèmes sociaux. Finalement, on définit les bons et les mauvais immigrants selon leur langue, leur statut, les besoins qu’ils comblent, etc.
Les médias relaient aussi les nouvelles mesures politiques qui influencent encore notre vision des immigrants. Par exemple, ils titrent sur les mesures de restriction des travailleurs temporaires ou encore sur les nouvelles règles qui empêchent l’arrivée des familles. Référence
Les discours et actions du président Trump largement et quotidiennement relayés dans nos médias, désignent les immigrants comme des criminels et les montrent dans des situations d’arrestation et d’expulsion. Bien que les médias québécois prennent de la distance par rapport à ces pratiques, l’exposition continuelle à ce langage et à ces visuels en renforcent la banalisation et les amalgames.
Au Québec, les médias, reprenant à plusieurs reprises, les enquêtes concernant l’École Bedford, mais aussi des dénonciations peu ou non vérifiées sur d’autres écoles ou garderies (référence), montrent les immigrants, en particulier ici les hommes maghrébins et musulmans, comme non intégrés, faisant entrer de force leur culture ou leur religion dans la société québécoise. Les médias font ainsi des primeurs sur les problèmes dits d’intégration, sur les enjeux religieux, linguistiques, etc. La répétition de ces nouvelles dans plusieurs médias et durant plusieurs jours-semaines a une influence importante sur notre vision des immigrants et de ces enjeux. Leur reprise aussi dans de multiples chroniques, points de vue personnels des auteurs, ajoute à ces redondances.
Le tout a pour résultat de présenter les immigrants non pas comme des personnes singulières avec leur individualité, leurs parcours, leurs compétences et leurs expériences, mais au travers de stéréotypes et préjugés qui tendent à les déshumaniser.
On comprend que les médias régionaux peuvent jouer un rôle important face aux représentations stéréotypées, polarisantes et péjoratives que les médias nationaux donnent des personnes immigrantes. Ces images positives ont cependant une influence relative car elles réfèrent à une ou quelques personnes ce qui a un effet ponctuel et émotif mais qui ne permet pas de contrer les préjugés fort ancrés.
À contrario, des médias traditionnels tentent aussi de transmettre des images positives sur les personnes immigrantes
Et ce, souvent au travers de témoignages et d’histoires qui illustrent (référence) :
- Leur contribution aux entreprises et à nos services
- Leur intégration réussie
- Leur participation à la culture artistique
- Leur contribution sociale, par exemple sous forme de bénévolat.
On pense ainsi aux immigrants « anges gardiens » durant la COVID. On relaie les prix remis par les organismes d’accueil, par exemple ou des actions positives de ces organismes (jumelages, mentorat…) ou encore d’entreprises. On retrouve ces histoires de succès et d’intégration surtout dans les médias locaux et régionaux qui en parlent aussi sous forme de besoins (en emploi, en santé, pour les écoles, etc.).
On comprend que les médias régionaux peuvent jouer un rôle important face aux représentations stéréotypées, polarisantes et péjoratives que les médias nationaux donnent des personnes immigrantes. Ces images positives ont cependant une influence relative, car elles réfèrent à une ou quelques personnes, ce qui a un effet ponctuel et émotif, mais qui ne permet pas de contrer les préjugés fort ancrés.

Ce qu’on attend de nos médias…
Afin de donner des images réalistes, multiples et non généralisantes des personnes immigrantes, il est important :
- de veiller au vocabulaire utilisé dans les médias traditionnels
- d’expliquer et d’analyser les discours politiques sans les reprendre mot à mot, sans en faire des gros titres décontextualisés
- de vérifier les sources, en particulier lorsqu’il s’agit de dénonciations d’événements ponctuels
- de ne pas reprendre les fausses nouvelles ou informations non validées des réseaux sociaux
- de mener des enquêtes approfondies, par exemple sur une communauté au Québec (comme celle du Journal de Montréal sur les Latinos dans les régions du Québec), dans une région ou sur des parcours différents de personnes immigrantes
- de multiplier les vigiles et les interventions auprès des médias sociaux qui transmettent des images déformées et de fausses nouvelles.
Chacun d’entre nous, dans la perspective d’une société inclusive, a aussi la responsabilité d’être vigilant pour ne pas participer à la diffusion des préjugés, des stéréotypes, des amalgames et des généralisations qui touchent les personnes immigrantes.
Michèle Vatz-Laaroussi

Michèle Vatz-Laaroussi, docteure en psychologie interculturelle, est professeure émérite associée à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke, où elle a enseigné pendant 25 ans. Elle figure aussi au nombre des chercheurs partenaires du SoDRUS (Centre de recherche Société, Droit et Religions de l’Université de Sherbrooke) et est membre de l’Observatoire des Profilages. Elle est reconnue pour son engagement envers les enjeux d’immigration et d’inclusion sociale.
Les travaux de Madame Vatz-Laaroussi ont fait avancer les connaissances sur la médiation interculturelle, domaine auquel elle a contribué en développant des approches novatrices pour favoriser l’intégration des populations immigrantes dans les communautés locales.
En reconnaissance de l’impact international de ses recherches sur l’immigration dans les régions du Québec, elle a reçu le prix Hector Fabre en 2017, décerné par le ministère des Relations internationales et de la francophonie du Québec.
Ses projets de recherche-action et ses démarches participatives l’ont également menée à collaborer avec des comités citoyens et des organismes communautaires, travaillant de manière collaborative pour répondre aux défis sociaux et culturels liés à l’immigration.
Depuis 2020, Madame Vatz-Laaroussi a également participé à des études sur le racisme et les discriminations dans les municipalités québécoises, hors Montréal, contribuant à enrichir le dialogue et les pratiques en matière d’équité et d’inclusion. Elle est co-autrice de plusieurs ouvrages importants, notamment Femmes et féminismes en dialogue : enjeux d’une recherche-action-médiation (2019), Visages du racisme contemporain. Les défis d’une approche interculturelle (2021) et La médiation interculturelle. Aspects théoriques, méthodologiques et pratiques (2022). Ces publications témoignent de son engagement pour une société inclusive et de sa vision pour des pratiques interculturelles ancrées dans la réalité des communautés locales.
C’est un honneur pour L’ANCRE de compter sur la collaboration de Michèle Vatz-Laaroussi, qui partage son expertise et ses perspectives éclairantes en contribuant à nourrir notre blogue.