Après avoir « remis les pendules à l’heure », dans le premier article de cette série, sur les questions d’emploi et d’intégration linguistique des immigrants, nous proposons ici de porter notre regard sur trois autres mythes qui génèrent des idées fausses, des préjugés et des processus d’exclusion des personnes immigrantes.
Mythe 3 : « Les immigrants sont un fardeau pour les systèmes sociaux et de santé »
Réalité : Les immigrants contribuent au renforcement de ces systèmes
Des immigrants en santé
Les programmes de sélection pour les immigrants économiques et les travailleurs temporaires reposent sur des examens de santé si bien que les nouveaux immigrants sont, à leur arrivée, en meilleure santé que la moyenne des Québécois de leur âge.
Leur santé peut se détériorer après leur arrivée du fait des stress et des difficultés d’intégration.
Les travailleurs temporaires ont des permis de travail reliés à leurs conditions de santé et fréquentent très peu les services de santé à moins de problèmes en lien avec leur travail.
Certains réfugiés sont accueillis spécifiquement du fait de besoins de santé qui sont prévus dès leur arrivée (par exemple des enfants syriens dialysés durant la guerre) avec les services nécessaires.
Des demandeurs d’asile qui veulent travailler
Les demandeurs d’asile ont droit aux mêmes soins de santé que les prestataires d’aide sociale grâce à un programme fédéral et un service provincial. Cependant, la grande majorité d’entre eux veulent avant tout travailler pour vivre au pays et ils le font dès qu’ils ont un permis de travail, souvent après plusieurs mois d’attente.
Les immigrants économiques, travailleurs temporaires et demandeurs d’asile ne représentent donc pas un surplus pour nos services sociaux et de santé, ils les utilisent en moyenne moins que les citoyens québécois.
Des immigrants qui renforcent les systèmes sociaux et de santé.
Au Canada, Plus de 420 000 travailleurs du secteur de la santé sont âgés de plus de 55 ans, et la plupart d’entre eux vont prendre leur retraite d’ici une dizaine d’années.
Des problèmes de recrutement sont observés dans l’ensemble du pays pour ce qui est du personnel infirmier, du personnel des soins en établissement et du personnel des soins de santé à domicile.
Les immigrants représentent le quart des travailleurs du secteur de la santé : 25 % des infirmiers autorisés; 42 % des aides-infirmiers et personnel assimilé; 43 % des pharmaciens; 37 % des médecins; 45 % des dentistes; 61 % des technologues dentaires et personnel assimilé.
Plus de 40 % des personnes arrivées au Canada entre 2016 et 2021 et travaillant dans le secteur de la santé occupaient des postes dans le domaine des soins, dont les soins de santé à domicile.
Le gouvernement du Québec est allé chercher plus de 1000 infirmières en France, au Maroc ou en Afrique sub-saharienne, par un programme créé en 2022. Ce même gouvernement a décidé, en octobre 2024, de mettre fin à ce programme qui avait des effets négatifs sur les systèmes de santé des pays d’origine, privés de ces infirmières.
À Montréal, 47,8% des aides-infirmiers, aides-soignants et préposés aux bénéficiaires étaient immigrants au moment de la pandémie de COVID 19.
Ces travailleurs et travailleuses ont été particulièrement touchés par la maladie, en même temps qu’ils ont continué à donner des soins durant toute la pandémie. C’étaient eux nos « anges gardiens ».
Ainsi non seulement les immigrants ne sont pas un fardeau pour le système de santé et de services sociaux, mais ils représentent une partie importante du personnel de santé de proximité au Québec, et leur contribution est indispensable pour prendre soin de l’ensemble des Québécois.
Mythe 4 : « Les immigrants apportent davantage de criminalité »
Réalité : Il n’y a pas de lien direct entre immigration et criminalité
Immigration et criminalité : Y a-t-il un lien de cause à effet?
Plusieurs études révèlent que les populations migrantes ne causent pas d’augmentation de la criminalité, mais que les préjugés persistent.
D’autres déterminants de la criminalité doivent être croisés avec la migration; ainsi la pauvreté, l’exclusion, la vie dans des quartiers défavorisés et les problèmes de santé mentale sont souvent associés à la montée de la criminalité.
Les immigrants arrivés à l’âge adulte sont plus souvent très respectueux des lois de leur pays d’accueil. Ils éduquent leurs enfants dans ce respect.
Les jeunes nés de parents immigrants tendent à avoir les mêmes comportements que les jeunes Québécois de leur quartier, de leur ville ou de leur école. Ils ont donc autant de risques de se tourner vers la délinquance ou la criminalité que les autres jeunes.
Les difficultés socio-économiques, la non-reconnaissance, le racisme et les obstacles systémiques rencontrés par les parents immigrants et leur famille, peuvent rendre les jeunes plus vulnérables face aux groupes criminels.
Le profilage racial et anti-immigrant
Les immigrants, et plus spécifiquement les jeunes, sont, tout comme les autochtones, sur-représentés lors des arrestations, dans les centres d’incarcération et dans les centres jeunesse.
Du fait de leurs caractéristiques physiques, de leur couleur de peau, de leur nom ou de leur accent, ils sont soumis plus que les autres à des vérifications d’identité, plus rapidement arrêtés et plus souvent placés en établissement.
Les médias mettent de l’avant les origines nationales ou immigrantes des délinquants ou simples suspects alors qu’on n’en parle pas lorsqu’il s’agit de personnes blanches québécoises.
Il n’y a donc pas de lien entre immigration et criminalité. En revanche, l’exclusion et le profilage dont peuvent être victimes les personnes immigrantes et leur famille renforcent ces fausses croyances.
Mythe 5 : « L'immigration conduit à une perte d'identité culturelle pour la société d'accueil »
Réalité : Les immigrants enrichissent et respectent la culture québécoise
Est-on réellement envahi par les immigrants qui veulent nous imposer leur religion, leur culture et leurs conflits?
La grande majorité des personnes immigrantes viennent au Québec pour y vivre en paix, en démocratie et pour que leurs enfants puissent y étudier et s’y développer dans des conditions favorables.
La grande majorité des personnes immigrantes ont des projets d’installation à long terme qui impliquent l’apprentissage de la langue commune et le respect des valeurs québécoises.
Certains quittent d’ailleurs leur pays d’origine pour fuir des situations de violence, de discrimination ou de conflit.
Un grand nombre de personnes immigrantes souhaitent contribuer à leur nouvelle société tant sur le plan économique que social.
De nombreuses personnes immigrantes sont bénévoles dans divers organismes et services.
Plusieurs souhaitent s’engager en politique municipale et le font pour servir toute la population de leur ville, du Québec et du Canada, et pas seulement leur communauté d’origine ou leur communauté religieuse.
Bien que nombreuses soient celles qui souhaitent transmettre à leurs enfants leur religion, leur langue et certains éléments culturels de leurs origines, les personnes immigrantes font aussi de gros efforts pour un projet d’intégration à long terme dans la société québécoise, où elles espèrent que leur contribution pourra être reconnue.
La société québécoise, si elle est inclusive, juste, équitable et bienveillante, reconnaîtra cette contribution en s’appuyant sur sa culture et ses propres valeurs, ce qui contribuera à les promouvoir auprès des nouveaux arrivants, qui voudront les renforcer plutôt que les remplacer ou les rejeter.
Repenser notre perception de l’immigration au Québec
En déconstruisant ces mythes, nous comprenons mieux l’apport important des personnes immigrantes dans notre société. Il est essentiel d’adopter une vision éclairée et objective pour favoriser une société plus inclusive et solidaire.
Michèle Vatz-Laaroussi, docteure en psychologie interculturelle, est professeure émérite associée à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke, où elle a enseigné pendant 25 ans. Elle figure aussi au nombre des chercheurs partenaires du SoDRUS (Centre de recherche Société, Droit et Religions de l’Université de Sherbrooke) et est membre de l’Observatoire des Profilages. Elle est reconnue pour son engagement envers les enjeux d’immigration et d’inclusion sociale.
Les travaux de Madame Vatz-Laaroussi ont fait avancer les connaissances sur la médiation interculturelle, domaine auquel elle a contribué en développant des approches novatrices pour favoriser l’intégration des populations immigrantes dans les communautés locales.
En reconnaissance de l’impact international de ses recherches sur l’immigration dans les régions du Québec, elle a reçu le prix Hector Fabre en 2017, décerné par le ministère des Relations internationales et de la francophonie du Québec.
Ses projets de recherche-action et ses démarches participatives l’ont également menée à collaborer avec des comités citoyens et des organismes communautaires, travaillant de manière collaborative pour répondre aux défis sociaux et culturels liés à l’immigration.
Depuis 2020, Madame Vatz-Laaroussi a également participé à des études sur le racisme et les discriminations dans les municipalités québécoises, hors Montréal, contribuant à enrichir le dialogue et les pratiques en matière d’équité et d’inclusion. Elle est co-autrice de plusieurs ouvrages importants, notamment Femmes et féminismes en dialogue : enjeux d’une recherche-action-médiation (2019), Visages du racisme contemporain. Les défis d’une approche interculturelle (2021) et La médiation interculturelle. Aspects théoriques, méthodologiques et pratiques (2022). Ces publications témoignent de son engagement pour une société inclusive et de sa vision pour des pratiques interculturelles ancrées dans la réalité des communautés locales.
C’est un honneur pour L’ANCRE de compter sur la collaboration de Michèle Vatz-Laaroussi, qui partage son expertise et ses perspectives éclairantes en contribuant à nourrir notre blogue.